Annie Lacroix-Riz a diffusé ceci (22 juin 2024) :

J’ai avisé Eric Vuillard que je rendrais publique une réaction à la tribune de l’historien consensuel Hervé Joly sur « le patronat », qui le prend pour cible. Ce texte se réclame contre l’écrivain, dont les sources seraient poussiéreuses, de « la recherche historique récente », sans nous préciser laquelle. 

Le rôle du patronat allemand dans le nazisme : Annie Lacroix-Riz écrit à Éric Vuillard

22 Juin 2024 , Rédigé par Réveil CommunistePublié dans #Front historique#L’Europe impérialiste et capitaliste

Éric Vuillard

Éric Vuillard

Annie Lacroix-Riz a diffusé ceci (22 juin 2024) :

J’ai avisé Eric Vuillard que je rendrais publique une réaction à la tribune de l’historien consensuel Hervé Joly sur « le patronat », qui le prend pour cible. Ce texte se réclame contre l’écrivain, dont les sources seraient poussiéreuses, de « la recherche historique récente », sans nous préciser laquelle. L’Humanité n’ignore pas les responsabilités historiques du patronat dans la mise au point puis l’imposition aux peuples d’Europe de la solution fasciste dans l’entre-deux-guerres.

Hervé Joly a été chargé en 2002 par l’historiographie dominante d’un « groupement de recherche » CNRS constitué pour dix ans, ayant pour mission de démontrer l’innocence d’un patronat non collaborateur et qui sollicitait à sa création la confiance des grands patrons envers les historiens « raisonnables ». Il a affiché son soutien à toutes les « réformes » de l’enseignement supérieur qui ont, sans répit depuis l’ère Sarkozy, brisé ce dernier. Sa « tribune » du 21 juin dans Le Monde piétine l’histoire vraie des rapports entre grand patronat et politique en se réclamant de la scientificité historique moderne contre les vieilles lunes « marxistes ».

Cette démarche de ce qu’il faut bien appeler « l’histoire commissionnée » (« L’histoire commissionnée – un nouveau paradigme? », Mouvements, n° 21-22, mai-août 2002, p. 135-142, https://www.cairn.info/revue-mouvements-2002-3-page-135.htm) est particulièrement scandaleuse à l’heure où la grande presse en chœur affirme mensongèrement que, la main franchement forcée par les électeurs, le patronat, jusqu’alors absolument rétif, sauf exception, au Front national,  se rallierait à la démocratie du scrutin pour consentir une expérience FN-RN. C’est ce qu’auraient honorablement fait avant lui les patronats allemand et français confrontés à la démocratie électorale dans les années 1930, ah, bon, pas avant ? Le financement patronal de la casse NSDAP des grèves locales dès la fondation du NSDAP de la « résistance passive » dans la Ruhr, en 1923, avec pourcentage du chiffre d’affaires au NSDAP, le soutien de la presse Hugenberg, collaborateur de Krupp (50% de la presse nationale allemande), les campagnes hitlériennes en avion, l’abandon de la droite classique privée de fonds en 1932 , en France, la fondation de la synarchie et ses plans depuis 1922, le financement des ligues depuis 1924, du « mythe marxiste » que tout cela ? Georges Villiers « résistant », vraiment ?

L’historiographie bien-pensante prend des responsabilités politiques graves. Pareille contrevérité mérite réplique historique.

her Eric,

Mes très bienveillants collègues profs ont délégué contre mes travaux, en mars 1997, après la parution de l’article longtemps censuré « Les élites économiques françaises et la collaboration économique : la banque, l’industrie, Vichy et le Reich » (https://www.cairn.info/revue-revue-d-histoire-de-la-shoah1-1997-1-page-8.htm), Hervé Joly, sociologue d’origine, franchement réactionnaire, selon lequel les historiens marxistes de « l’Est » et de « l’Ouest » qui décrivaient l’idylle du patronat allemand avec Hitler, avant et pendant le régime nazi, appartenaient à un « clan gauchiste ». C’est une citation de sa thèse Patrons d’Allemagne. Sociologie d’une élite industrielle. 1933-1989, Paris, Presses de Sciences Po, 1996, ISBN : 978-2724606881, 360 p., p. 162, et chap. 4, « L’élite industrielle en 1945: une élite nazie? », en aucune façon, assurément : voir le CV de ses travaux sur le lien https://triangle.ens-lyon.fr/spip.php?article3461.

Ledit lien signale aussi son article de Libération de mars 1997, http://www.liberation.fr/france/1997/03/18/zyklon-b-la-france-n-a-pas-fourni-les-camps-le-groupe-francais-ugine-a-bien-fabrique-l-insecticidema_199613, usant d’un argument chimique sur le Zyklon qu’il a reconnu erroné dans un article de la Revue d’histoire moderne et contemporaine de 2000 (« L’implication de l’industrie chimique allemande dans la Shoah : le cas du Zyklon B », Revue d’histoire moderne et contemporaine , 47-2, avril-juin 2000, p. 368-400. Article consultable en ligne sur HAL SHS et Gallica). Pas grave…

Grand protégé de Patrick Fridenson ‑‑ lui-même pilier de l’histoire économique pro-patronale et devenu avocat télévisuel sonore, en 2011-2012, d’un Renault pas si collabo que ça (pendant la guerre, qu’il n’avait précisément pas étudiée) ‑‑, M. Joly est d’une insolence rare envers les parias, mais il est délicieux à l’égard des puissants « highly acclaimed ». Le rôle de persécuteur de dissidents qu’il a joué à leur service, dans Libération et ailleurs, a beaucoup contribué à sa conversion officielle à la carrière d’historien : j’en rends compte dans L’histoire contemporaine toujours sous influence et dans divers ouvrages, dont Industriels et banquiers français sous l’Occupation (que je vais mettre à jour pour un poche, à paraître en janvier 2025). Vous êtes aujourd’hui dans le collimateur, comme « l’historiographie marxiste, notamment en République démocratique allemande » (voilà bien un argument absolument démontré et convaincant). Et ailleurs, il n’y en a pas?, mais non, à « l’Ouest », ils ont disparu de « la recherche historique récente ». Vous est donc réservé le rôle de momie, avec, en sus, l’allusion perfide que, victime des fariboles de la vieille « historiographie marxiste » morte et enterrée, vous, littéraire et non historien, vous ne connaissez rien à l’affaire : cet assaut est très flatteur.

H. Joly n’a jamais dépouillé les archives originales policières et judiciaires françaises de l’énorme dossier politique du grand patronat français, sans parler des archives étrangères, notamment allemandes, aussi explicites (vous pourrez le vérifier en le lisant). Mais il poursuit sur sa lancée quasi trentenaire selon laquelle « les historiens », c’est tout le monde sauf les défunts marxiste de « l’Est » et de « l’Ouest » – y compris la relique française qui travaille sur le sujet depuis les années 1990, solitaire, je l’admets. Sans parler d’historiens spécialistes de l’Allemagne dont M. Joly ne dit mot, et il y en eut, même parmi des historiens américains « bien-pensants » et « acclamés » (voir mon manuel de concours de recrutement des historiens, Industrialisation et sociétés (1880-1970). L’Allemagne, Paris, Ellipses, 1997).

Concernant la France, l’historienne que je ne suis pas ‑‑ tous « les historiens » étant censés converger sur l’innocence politique du grand patronat ‑‑, placée, quoique clandestinement, à vos côtés, s’est sentie moins seule… Cet éminent représentant de « la recherche historique récente » devrait lire Le choix de la défaite (récemment mis à jour et augmenté, et pour pas cher désormais, https://www.dunod.com/histoire-geographie-et-sciences-politiques/choix-defaite-elites-francaises-dans-annees-1930-0) etDe Munich à Vichy (pas si vieux que ça).

Il va de soi cependant que, s’il avait pris la peine de confronter pareilles horreurs au dépouillement des sources, M. Joly ne bénéficierait pas d’une prestigieuse « tribune » dans Le Monde, tribune de caractère, convenons-en, plus électoral ou idéologique que scientifique, dans une conjoncture où s’impose un soigneux lessivage de l’histoire politique accablante du grand patronat français.À cet égard, le record de son propos est atteint via la présentation comme « ancien résistant déporté » de Georges Villiers, grand industriel lyonnais fort collaborateur et nommé par Vichy maire de Lyon, à la place d’Herriot, avant son opportune démission-Pax Americana de 1943 (on trouvera précision-démenti à ce sujet dans Industriels et banquiers français sous l’Occupation, dans Les élites françaises, 1940-1944 (https://www.dunod.com/histoire-geographie-et-sciences-politiques/elites-francaises-entre-1940-et-1944-collaboration-avec)etdans La Non-épuration en France de 1943 aux années 1950 (https://www.dunod.com/histoire-geographie-et-sciences-politiques/non-epuration-en-france-1943-aux-annees-1950-0), index Villiers Georges).

Dans la vie, il faut choisir. Nous constatons tous les jours, avec une intensité accrue depuis deux ans, que, pour beaucoup d’intellectuels français, universitaires compris, transformés par le « journal de référence » en uniques « spécialistes » de tel ou tel sujet brûlant, à l’exclusion des parias, le choix est fait, définitivement fait. Ce qui, la chose datant de fait de plusieurs décennies de martèlement très « atlantique », a éminemment contribué à mettre nos sciences sociales nationales au niveau de notre enseignement de mathématiques, de français, etc. Quo non descendamus

Jugeant particulièrement bas cet assaut contre la vérité historique, qui vous prend pour cible, je compte rendre cette lettre publique.

Amitiés,

Annie


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A propos Romain de Courcelles

militant communiste courcellois a/conseiller communal PCB et UCPW
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