Ce que fut ce militant communiste liégeois exemplaire dans les luttes, sur le plan de l’ internationalisme et de la solidarité prolétariennes, contre le réformisme et l’ euro-communisme, contre certaines alliances « de gauche » paralysantes, neutralisantes ! Un exemple pour la relève au sein du PCB-CPB en reconstruction, …

BERGEN Marcel. [Belgique]

Jemeppe-sur-Meuse (aujourd’hui commune de Seraing, pr. et arr. Liège), 27 février 1935 − Seraing, 24 juin 2023. Ouvrier métallurgiste, syndicaliste, militant communiste, conseiller communal de Seraing (1976-1988, 2012-2018) et provincial de Liège (1974-1985, 2012-2018), dirigeant de la Fédération liégeoise du Parti communiste Wallonie-Bruxelles (1998-2023).

Les parents de Marcel Bergen, Jean (1900-1957) et Joséphine Sottiaux (1899-1966), sont mineurs au charbonnage de Kessales (Jemeppe), le premier au fond du puits et la seconde en surface (triage du charbon). Mariés en 1919, ils ont deux filles et quatre garçons : Marie, Roger, Louise, Marcel, Robert et Dany. Les filles vont peu à l’école et sont vite amenées à aider leur mère à la gestion ménagère et familiale. Marcel Bergen considère ainsi sa grande sœur Louise comme sa deuxième mère. Les enfants Bergen reçoivent une éducation très chrétienne, surtout sous l’influence maternelle. Le foyer souffre de la faim durant l’occupation allemande.

Marcel Bergen est formé, juste après la Seconde Guerre mondiale, par l’enseignement provincial et technique de Seraing comme tourneur-ajusteur-aiguilleur. Il lit beaucoup et fréquente assidument la maison du peuple de Jemeppe. Il rencontre dans le même temps Vittoria Del Debbio (née en 1938), arrivée en août 1951 de Toscane avec sa famille en Belgique à la suite de son père, venu travailler fin 1947 comme tant d’autres Italiens à la mine (pour sa part, aux Grands Makets à Jemeppe). De l’union de ce couple, marié le 15 décembre 1956, naît Patrick (1957-2012), qui sera ouvrier et aura à son tour deux filles, Sara et Lola. Vittoria alternera entre son ménage comme femme au foyer et de petits emplois, comme technicienne de surface dans les bureaux de la direction d’Espérance-Longdoz ou serveuse dans un restaurant.

Marcel Bergen effectue un service militaire de dix-huit mois, entre 1952 et 1953, puis travaille brièvement dans l’atelier d’équipement mécanique de Cockerill (actuel John Cockerill), avant d’entrer en 1953 à Hydrobel (Sclessin, Seraing)), une usine dédiée au refroidissement de laminoirs.

Cotisant depuis 1952 à la Centrale des métallurgistes (CMB) de la FGTB (Fédération générale du travail de Belgique, syndicat socialiste interprofessionnel), Marcel Bergen se tourne d’abord vers le Parti socialiste belge (PSB) en 1957 et adhère à la section de Jemeppe. Mais son opinion change durant la grande grève de 1960-1961 contre la loi unique. Il milite beaucoup durant le mouvement : de tous les cortèges, il lapide les cars d’ouvriers limbourgeois venus remplacer à leur poste les grévistes et enjoint les ouvriers chrétiens d’Hydrobel à débrayer. Frustré de la retenue socialiste, il démissionne de sa section. Le président de l’Union socialiste communale locale vient à sa rencontre pour le raviser, lui promettant un poste d’échevin après les prochaines élections, mais Bergen ne transige pas. Quinze jours après la grève, il est licencié d’Hydrobel. Il trouve brièvement du travail à l’Association intercommunale pour le démergement et l’épuration (AIDE), en charge des stations de pompage de la Meuse, puis chez un fabricant de caoutchouc (Lefèvre). Sa sœur, laborantine à Phénix Works, lui apprend que l’aciérie ouvre une nouvelle usine à Ivoz-Ramet (Flémalle) et l’aide à y entrer. Sur liste noire patronale, Bergen doit jurer informellement de ne faire ni politique ni syndicat dans l’entreprise. Il est donc embauché en 1961 comme tourneur puis comme brigadier à Phénix Aluminium.

Marcel Bergen entre en 1961 au Parti communiste de Belgique (PCB), séduit par son action durant la grève. Il est parrainé par Freddy Bernard et André Neuville, secrétaires politiques de Jemeppe et de Mons-lez-Liège (aujourd’hui Grâce-Hollogne), deux sections qui agissent de concert. Bergen établit une section syndicale à Phénix Aluminium . Il devient délégué syndical et entre en 1963 au conseil d’entreprise et au comité de sécurité et d’hygiène de son entreprise.
Bergen se présente aux élections communales de 1964 mais André Cools*, alors député de Liège et dirigeant de la section socialiste de Flémalle, le dénonce à la régionale de la CMB. Son mandat syndicat lui est retiré. La CMB liégeoise est intraitable sur l’incompatibilité des mandats, règle établie par André Renard. Son successeur, Raymond Latin, accepte néanmoins, sous la pression des syndiqués de Phénix, de revenir sur la décision de sa centrale, à condition de ne plus recommencer.

Durant les années 1960, Marcel Bergen organise une cellule d’usine et recrute, dit-il, les trois-quarts du personnel (140 membres). Il monte à la tribune du XVIIIe congrès du PCB en 1968 à Ostende pour partager son expérience. Il rejoint le bureau fédéral liégeois du parti, l’instance dirigeante régionale, qu’il ne quittera plus. Il mène aussi à l’époque une grève de huit semaines, coupant l’électricité de l’usine, et obtient de fortes hausses salariales. Malgré une relation respectueuse avec le directeur belge de Phénix Aluminium, Bergen refuse, par après, une promotion de contremaître afin de continuer à mener l’agitation à l’usine, comme quand ses camarades et lui couvrent les machines d’affiches contre la guerre au Vietnam.

La nouvelle direction américaine de l’usine restructure son personnel et chasse Marcel Bergen en 1971 pour fait syndical, avec soixante autres salariés. Il se rend, comme la plupart des licenciés, à Tolmatil, un laminoir de Tilleur (aujourd’hui Saint-Nicolas).
Théo Dejace, dirigeant de la fédération liégeoise, lui propose alors de devenir permanent du PCB comme secrétaire à l’organisation. Bergen accepte et entre en 1971 au Comité central du parti. Il forme un triumvirat avec Albert Juchmès, secrétaire politique fédéral, et Marcel Levaux, président. Il est chargé de superviser les cellules d’entreprise de tout le bassin industriel et d’aider les syndicalistes du PCB. Il travaille en collaboration étroite avec la section de Cockerill, qui compte alors 350 membres et 70 des 120 délégués syndicaux de l’énorme aciérie, menée par Honoré Swinbergh* et Marcel Baiwir. Il coordonne le travail militant de dizaines d’autres cellules (Espérance-Longdoz, Tubes de la Meuse, Prayon, ACEC-Herstal, Elphiac, FN, Smulders, Magotteaux…), notamment par la rédaction et la diffusion de petits bulletins propres à chaque usine investie. Bergen tisse des liens entre syndicalistes, dresse des passerelles entre les luttes et les politise. Bien des électeurs socialistes donnent leur confiance à des délégués syndicaux du PCB dans leur entreprise. Grâce à cette valorisation du militantisme ouvrier, les communistes gardent leur influence syndicale jusqu’à l’accélération de la désindustrialisation dans les années 1980. Accompagnant les luttes défensives, le PCB ne parvient pas à influer sur la liquidation rapide de la métallurgie, même dans ses bastions (Cockerill, Valfil, Cuivre et Zinc, …). Beaucoup le quittent pour cette raison : le déclassement ouvrier rime avec désengagement politique, faute d’efficacité ou de volonté.

Marcel Bergen est élu en 1974 au conseil provincial de Liège. Il y dirige le petit groupe communiste jusqu’en 1985. Il devient aussi le secrétaire politique des sections de Seraing, aux dépens du président local André Dans qu’il affronte à fleurets mouchetés. Il en est élu conseiller communal e, octobre 1976, lors de la fusion des communes, avec trois autres communistes (12%), mais perdra son siège en 1988. Il retrouvera ces deux mandats de 2012 à 2018 en se représentant au nom du Parti communiste sur la liste PTB+, phénomène unique en Belgique. Sa dernière législature est marquée par la dénonciation des affaires de corruption qui aboutissent à la démission du député-provincial-président André Gilles et du bourgmestre de Seraing Alain Mathot.
Marcel Bergen restera par ailleurs toujours actif à Jemeppe, à travers les comités de quartier et de locataires de la société de logements publics L’Habitation jemeppienne. Bergen milite par ailleurs beaucoup en faveur des organisations pacifistes du PCB (Union belge de défense de la paix et Rassemblement liégeois pour la paix), notamment en s’impliquant dans l’organisation de grandes manifestations (la dernière étant en 1991 contre la guerre du Golfe).

Au cours de sa vie militante, Marcel Bergen défend une approche orthodoxe du communisme, c’est-à-dire axée sur la priorité du travail politique envers la classe ouvrière industrielle (et non vis-à-vis de tout type de couches socioculturelles), sur le soutien inconditionnel de l’Union soviétique (contre l’eurocommunisme et le trotskisme) ou encore sur la primauté du parti sur toute sorte de cartel électoral (à l’image de l’Union démocratique et progressiste créée dans le Hainaut par son camarade René Noël*). De même, quand Robert Dussart, président francophone du PCB, propose en 1987 de se distancier de la FGTB afin de faciliter un rapprochement avec les délégués chrétiens combatifs, Bergen et ses camarades liégeois refusent tout net. Il est également hostile à la communautarisation linguistique et à la régionalisation du parti. Depuis l’écartement en 1969 du secrétaire fédéral René Demazy*, héritier des réformateurs René Beelen et Ernest Burnelle, et surtout l’arrivée de Louis Van Geyt à la tête du parti en 1973, la fédération liégeoise (la plus nombreuse de toutes) mène une fronde interne contre les tentatives d’adoucir idéologiquement le PCB, au prix de son isolement relatif et de la paralysie du parti. Bergen y souscrit entièrement. La tension éclate au XXIIe Congrès du PCB en 1976 : tous les Liégeois sont expulsés du Comité central, à l’exception d’Andrée Deglin et de Bergen (un hasard, selon Nicolas Naif). Il continue à défendre une ligne soviétophile, exigeant ainsi en 1977 de condamner la rédaction du Drapeau rouge qui avait pris fait et cause pour le dirigeant eurocommuniste du PC espagnol Carrilo. Il participe à des réunions de conciliation entre sa fédération et la direction, mais l’opposition se calque sur la dissension internationale entre la critique du camp socialiste et son accommodement. Ce dissentiment se reflète par exemple lorsque les Liégeois rejettent en 1978 en bloc une manifestation en mémoire du Printemps de Prague. Bergen passe d’ailleurs ses vacances de l’autre côté du Mur, comme en Crimée.
C’est pour ces raisons que Marcel Bergen refuse en 1990 de laisser tomber le PCB quand il éclate pour de bon. Alors que les membres se résignent en masse, seule la fédération de Liège parvient à garder une substance, grâce à une série de militants qui soignent des points d’appui politiques significatifs : son président Marcel Levaux maintient une influence à Visé (pr. et arr. Liège), Christian Remacle conserve un certain crédit auprès du personnel communal liégeois pour sa lutte acharnée contre sa restructuration (1983-1989) tandis que Jules Pirlot, Betty Coletta et Jean-Christophe Yu continuent d’animer la Fondation Joseph Jacquemotte. Bergen s’en montre plutôt indifférent, misant sur la relance du parti par des méthodes traditionnelles et une orientation toujours dirigée vers la classe ouvrière. Les dissensions s’accentuent au sein de la fédération. Bergen et Pierre Beauvois, président du PC Wallonie-Bruxelles (PCWB), se méfient de la liste électorale Gauches Unies (associant trotskistes et personnalités socialo-écologistes) et freinent la participation du PCWB en 1994 à cette coalition hétéroclite infructueuse. Bergen réunit lors du congrès fédéral de 1998 une majorité des membres derrière son projet, succédant à Marcel Levaux à la tête de la fédération. Il s’oppose en 2000 à la candidature de Remacle sur la liste socialiste liégeoise lors des élections communales, le poussant à quitter le parti. Bergen cherche à discipliner d’autres militants engagés dans des initiatives autonomes (André Dombard à Trooz, Francis Theunissen à Visé, …) et à rajeunir la direction fédérale, via Myriam Machiroux (Flémalle) puis Pierre Eyben (Liège). Mais Bergen n’arrive ni à sortir son parti de la marginalité électorale ni à recruter une nouvelle génération de militants.

Marcel Bergen trouve la relève, d’une certaine façon, dans le Parti du travail de Belgique (PTB). Grâce à son fils Patrick qui a milité au PC italien à Pise et est revenu au pays très déçu de sa mutation social-démocrate, Bergen dépasse son aversion anti-maoïste et commence à rencontrer au nom des siens les représentants du PTB au fil des années 2000, comme Raoul Hedebouw (Liège), Hans Krammisch et Damien Robert (Seraing). La collaboration prend forme à partir de 2010 dans l’organisation commune du meeting du 1er mai sur la place Saint-Paul à Liège et lors de la commémoration annuelle de l’assassinat de Julien Lahaut à Seraing. Malgré de fortes tensions internes, c’est en 2012 que le pas est franchi : des candidats de la fédération se présentent sur les listes électorales du PTB+, dont Bergen. L’amalgame ne s’est pas arrêté depuis lors, mais le PC liégeois s’est perpétué en tant qu’entité indépendante et a poursuivi son lent dépérissement.

Jamais vraiment remis du décès prématuré de son fils unique, Marcel Bergen s’efface doucement, surtout durant et après la période du Covid, au profit de sa famille, mais reste alerte jusqu’à la fin de sa vie, songeant encore quinze jours avant sa mort à se rendre à la fête annuelle du PTB de Seraing.

Marcel Bergen fait partie des militants ouvriers qui ont fait les beaux jours du PCB durant les années 1960-1970, grâce à un ancrage syndical persévérant et un travail politique efficace parmi les métallos. Bergen est un exemple parlant du système de promotion politique des ouvriers au sein du PCB, qui est ardu à reproduire en raison de leur domination sociale et de leur sentiment d’illégitimité. C’est l’un des derniers témoins de l’empreinte communiste forte sur la grève de 1960-1961 et de son impact en popularité sur une nouvelle génération d’ex-militants socialistes. Il a incarné une rigidité idéologique, en particulier envers les courants socialistes et de la « nouvelle gauche », et n’a pas cherché à ménager ses adversaires au sein du PCB. Les discordes ont parfois été très vives. Bergen s’est néanmoins ouvert largement au PTB. Il personnifie la transmission symbolique entre les deux partis communistes, l’ancien et le nouveau, sans doute grâce à sa perception de l’Histoire. C’est un cas relativement rare car peu des derniers tenants du PC, dans le Hainaut ou ailleurs, ont réussi à ce point à outrepasser les vieilles rancœurs et a témoigné une telle camaraderie. En ce sens, Bergen a réussi, avec d’autres de ses camarades, à établir de réelles conditions à la pérennité d’un lien mémoriel solide entre les communistes liégeois du 20e et du 21e siècle.

Par Adrian Thomas .

A propos Romain de Courcelles

militant communiste courcellois a/conseiller communal PCB et UCPW
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